9.4.07

COURS DE SANTÉ ET SÉCURITÉ SUR LES CHANTIERS DE CONSTRUCTION



Quelque chose s’est passé pendant la pause cigarette. Steeve avait un gros sourire en plastique et la réplique en cinquième vitesse avant la pause. Le prof l’avait remarqué, il l’avait pointé du doigt, lâché quelques cracks, l’avait traité de smatt. Ça avait fait rire les autres, et Steeve aussi. Il lui avait répondu quelque chose comme «Oué, vieux crisse.» Et tout le monde, y compris le vieux crisse en question, avait bien ri. Un autre exemple comme quoi la camaraderie entre hommes passe inévitablement par l’insulte.

J’ai commencé à écrire ce texte dans ma tête après la première pause cigarette du cours de santé et sécurité sur les chantiers de construction que j’ai suivi durant les deux dernières fins de semaines. Je me souviens d’avoir réellement pensé la première phrase, parce que je me souviens d’un gars qui s’était identifié dès les premières minutes du cours comme étant à la fois la grande gueule, le tough et le délinquant du groupe. Mais, quand il est revenu de sa cigarette, et à partir de là, il n’a plus dit un mot.

Bon faut expliquer, faut mettre en contexte. Qu’est-ce que l’étudiant en littérature peut ben crisser là? Réponse : pour avoir mes cartes pour travailler comme manœuvre. Un ami du secondaire m’a dit qu’il pourrait me mettre en contact avec tel ou tel syndicat, et eux me trouveraient une job sur la construction, et moi je ferais beaucoup d’argent cet été. Le cours coûtait cent piasses, durait deux fins de semaine, de huit à quatre, à deux minutes du métro Saint-Michel, dans un ancien salon de coiffure – avec les miroirs, les éviers spéciaux et tout.

En fait, je viens d’allumer, ça se passait vraiment dans un
ancien salon de coiffure! Une trentaine de mâles poilus, exhalant de toutes parts, vêtus de Point Zero, de polars Private Member et de bottes à caps d’acier, au milieu de murs fuschia et de miroirs rectangulaires; les lumières fancy qui frappent leurs casquettes des Canadiens en filet de plastique et en mousse. Merde, j’aurais vraiment dû allumer là-dessus avant!

Anyway, salon de coiffure servant maintenant au cours adressés aux travailleurs de la construction. Les deux fins de semaines les plus pénibles de toute mon existence. Et c’est pas peu dire, j’ai passé des fins de semaines à l’hôpital, dans des cours de sauvetage, debout devant une clôture à sourire aux clients du Zoo de Granby; j’ai de l’expérience solide en emmerdement, dommage qu’on puisse pas mettre ça dans un c.v.

Le prof avait la physionomie d’un pitbull : l’énorme mâchoire mise en évidence par une moustache descendant jusqu’au bord du menton, les jambes courtes et en «O», la bédaine comme un gros roc rond, les oreilles qui pendent. Et il a commencé le cours en disant que la semaine d’avant une femme qui avait participé à son cours avait porté plainte à son égard – il n’y avait pas de femme dans notre cours. Il disait, «Tsé, c’parce que moi j’adapte mon cours en fonction des gars de la construction. Pis la plotte, ben qu’est-ce tu veux j’te dise, en autant qu’j’suis concerné – traduction libre de «as far as I’m concerned», originale celle-là, tu peux pas les inventer les phrases comme celle-là, il faut les avoir entendues – à devrait s’attendre à n’entendre des affaires de-mègne.»

Et immédiatement, à force d’entendre ce gros pitbull japper des atrocités à propos des femmes, des communauté ethniques – «Des crisses de nouaires, j’ai rien contre ça, on devrait toutes n’avoir deux… des esclaves, ostie.» et «Haw! Haw! Haw!» de s’esclaffer le groupe, parce qu’on est tous blancs dans le salon de coiffure –, des homosexuels; m’est venue l’idée de ce texte. Un texte à propos d’un de ces membres de la société, sûrement l’homosexuel maintenant que j’y pense, qui subit cette dynamique de cours.

Je l’ai pas encore écrit, parce que la réflexion n’est pas encore tout à fait à point.

Entendre ce discours misogyne, raciste, homophobe, syndicalo-paranoïaque, et – dangereusement – nationaliste, et entendre comment ce gros moron l’associe si facilement avec le langage du travailleur de la construction; ça m’a fait me demander si on n’alimentait pas un peu le stéréotype de ce fameux gars de la construction. Si le gros fasciste du FTQ se place devant une trentaine de nouvelles recrues qui, on s’entend, possèdent déjà une certaine partie du stéréotype, à chaque deux semaines, en leur disant que lui, il ajuste son cours pour «parler comme eux.» Et que parler comme eux signifie traiter les femmes de plottes, les noirs d’esclaves et de criminels, les homosexuels d’ostie d’fifs. Je me demande vraiment qui est-ce qui s’adapte réellement.



Tout à coup, je me trouve bien loin du Renaud-Bray dans le village, moi là.

J’suis pas le plus grand amateur du politiquement correct, mais il y a quand même des limites. Il y a une différence entre un commentaire subjectif et de la fucking démagogie eftéquiste – mot inventé, 10 pts vocabulaire-plus. Les médias et les politiciens parlent de souveraineté, d’autonomisme, et en même temps, t’entends parler d’homophobie en région, de racisme. Là, pour la première fois réellement, j’ai pu assister à l’extrémisme québécois. C’est facile, du haut de ma niche universitaire-petite-bourgeoisie-pseudo-montréalaise-dans-la-vingtaine, de s’indigner pour n’importe quoi. Mais, j’en ai vus de toutes sortes avec mes différentes jobs, mes connaissances, certains membres de ma famille; et jamais je n’avais été témoin d’une intolérance aussi affirmée.

Et le pire, c’est qu’il a toute une autorité le gros pitbull. Il a une cinquantaine d’années de métier dans le corps et il a de la gueule. En sortant du salon de coiffure ce midi, à la fin du cours, les gens n’avaient que des éloges et des remerciements pour lui. Un ostie de bon gars. Qui s’gêne pas à part ça.

En tout cas, le texte risque d’être pas mal plus drôle que ça, ici. J’avais le goût de faire un peu d’éditorial ce soir. Maintenant, je peux en rire.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Vous savez le courage ce n'est pas d'avoir une gueule de Pit Bull et de dire des choses immorale ou irréfléchies.
Le courage est de ce tenir devant un groupe et être engager à livrer le cours.Ce Professeur était tellement à propos de lui et son malaise à être avec le contenue du cours et les gens qui étaient présent, que la seul porte de sortie étais de ce fondre dans le groupe.J'ai vu des femmes et bien des gens être plus courageux et engagé que ce professeur(Pitt Bull).
Maintenant ça prend des gens comme vous pour ce tenir et faire remarquer la lâcheté de certaine personne.

Merci à vous.

Jérémie Lopez a dit...

J'ai adoré le petit texte au début. C'est la première fois que je ne comprends autant rien et que je vois une telle putain de gratuité dans des lignes. Un régal en boite. Une asperge au miel, un cumulux de potiron !