23.3.07

FAIS-MOI UN BÉBÉ, MON HOMME

- Viens-tu juste de m’appeler «mon homme»?
- Oui.
- C’est un peu bizarre.
- J’sais pas.
- Pas sûr d’aimer ça.
- Non?
- Hmm.
- Pourquoi tu t’arrêtes?

«Mon homme», c’est ma mère qui me dit ça, depuis que j’ai sept ans. Depuis que mon père est parti de la maison, vivre avec son ex-belle-sœur, ma tante Francine, la sœur de ma mère, au Connecticut. C’est moi l’homme de la maison depuis ce temps-là. L’homme de maman en tout cas. Et là, d’entendre Stéphanie me chuchoter ça à l’oreille, tandis que je m’apprête à m’insérer en elle, c’est un peu étrange. Je vois Freud debout à côté du lit me dire «ben kin!» en levant les épaules et les sourcils.

- J’sais pas. J’ai un peu mal au ventre, honnêtement.
- Pour vrai? C’est tu parce que je t’ai appelé «mon homme»?
- Non non, j’te jure, j’ai mal au ventre. J’ai trop mangé. On recommencera plus tard, peut-être. Là, j’sais pas.
- Ah, j’avais vraiment envie de toi…

Faire un enfant. Oui. Faire un bébé, fonder une famille. Oui. Je suis prêt. Vingt-huit ans, Stéphanie en a vingt-six. On est prêts. Oui. On est tous les deux au travail. On habite ensemble depuis quatre ans. On s’entend bien, la plupart du temps. On fait des soirées avec des couples d’amis, on sort chacun de son côté. On a des vies pleines, des vies ancrées, stables. Les cinq à sept, les showers de bébé, les réer, les comptes conjoints, les fonds de pension, les visites de bungalows sur la Rive-Sud, les électroménagers, les diètes de couples, les semaines insupportables, la vie tranquille, no alarms and no surprises. Faire un bébé. C’est le temps.

- Oui, moi aussi. Vraiment.
- Est-ce qu’y’a quelque chose que je peux faire?
- Non.
- T’es sûr?
- Oui.

Dormir, arrêter de parler, t’éloigner un peu, changer de pièce, faire du thé, te rhabiller, te laver, enlever ta main de sur mon pénis, arrêter de me caresser, détourner ton regard qui essaie d’être sexy – tu ne peux pas essayer d’être sexy, tu l’es ou tu ne l’es pas, si tu essaies, c’est que tu ne l’es pas –, me proposer un threesome avec ton amie Valérie, me demander de mettre un condom, recommencer à prendre la pilule, arrêter d’être suppliante, de dépendre de mon plaisir, te frustrer, me confronter, me faire une crise de bébé, me frotter ma passivité dans la face, voir ailleurs, me tromper, tomber enceinte d’un autre homme, me donner une bonne raison pour te laisser, une raison plus forte que juste «là j’m’emmerde, c’est plate», me quitter.

- Moi j’pense qu’y a quelque chose que je peux faire…
- Pas tout de suite, Sté, j’file pas tellement.
- Après ça, tu vas aller pas mal mieux.
- J’pense pas…
- Tiens, jette ma gomme, pis relaxe un peu. J’m’occupe du reste.
- J’pense pas, Sté…

Il y a un mois, on a décidé qu’il était temps de penser à ça. Faire un bébé. Je lui ai proposé de m’épouser à la place – plus symbolique, moins important. Mais elle veut un bébé. Une petite fille qui va s’appeler Laurie, qui ne portera que des robes, et des lulus, et des bouquets de marguerites. C’est tout planifié. Elle a arrêté de prendre la pilule, et elle regarde les mobiliers pour enfants dans le catalogue Ikéa qui traîne derrière la toilette – je le sais parce qu’elle encercle ceux qu’elle aime au crayon feutre. Et moi je me dis que je suis dans la merde. Ça fait un mois qu’on a décidé d’avoir un enfant, et ça fait un mois qu’on n’a pas fait l’amour.

En fait, ça fait beaucoup plus qu’un mois qu’on n’a pas fait l’amour. Honnêtement, on n’a jamais réellement fait l’amour. Du sexe, peut-être. Mais pas tellement non plus. Du sexe, c’est cochon, c’est suant, c’est de l’exercice, c’est dirty. Avec Stéphanie, c’est comme un shift dans l’usine d’élastiques où j’ai travaillé à seize ans. Monotone, routinier, cyclique, rapide et abrutissant. On mise sur l’efficacité.

La différence, c’est qu’à la shop, il y avait Isabelle, la fille du patron, qui me kidnappait une fois de temps en temps pour faire des cochonneries dans le fond de l’entrepôt. À tous les jours de cet été, chaque garçon embauché à l’usine rêvait qu’aujourd’hui, Isabelle s’arrête devant sa station, et qu’elle l’enlève pour une petite demi-heure. Ses gros seins moelleux, ses cheveux bruns, ses yeux noisettes, ses lèvres. Isabelle Perron. Isabelle Perron. Isabelle, ah oui Isabelle…

- Wow! Déjà?
- …
- T’as pu mal au ventre là?
- Ça va un peu mieux, oui.

Elle se lève, elle s’habille et elle part à la toilette. Qu’est-ce que je fais? Je ne veux pas d’enfant. Pas maintenant. Pas avec elle. Je veux Isabelle Perron. Je veux une maman cochonne. Je ne veux pas une maman qui m’appelle «mon homme», comme ma maman à moi. Je veux pas avoir un enfant avec ma maman! Merde! Comment j’ai pu dormir pendant quatre ans? Est-ce que je suis typique à ce point? Ces histoires d’hommes dans la trentaine qui refusent l’engagement, le fuient comme la peste. C’est moi? Et pourquoi Freud est encore là, à me regarder avec les sourcils levés? Allez donc chier, Sigmund Freud! Je vous ai rien demandé. C’est rien de psychologique, c’est un hasard. Je couche pas avec ma mère. Je couche avec sa réplique. Mais c’est pas moi. C’est elle. Et puis je ne suis pas le seul. Allez donc chier.

J’étire le cou vers le corridor, et j’entend Stéphanie reniffler dans la salle de bain, comme si elle était en train de pleurer. Elle pleure? Qu’est-ce que j’ai fait? J’ai dit «Isabelle Perron» en jouissant tantôt? Elle réalise que je n’en veux pas d’enfant? Pourquoi elle pleure? Qu’est-ce que j’ai fait?

- Ça va?
- Oui oui.
- Tu pleurais?
- Oui.
- J’ai envie de toi.
- …
- Maintenant.
- …
- J’vais te faire un bébé.
- …
- J’vais te faire un bébé, maintenant. Tu vas être une maman.

6 commentaires:

Anonyme a dit...

nice will
je comprends que t'aies gagné le numéro1
t'es bon avec les lettres de l'alphabet et les mots du dictionnaire.

est-ce que c'est comme ça que tu t'imagines dans quatre ans, ou tu l'écris pour que jamais ça ne se produise ?

anne-marie : je te souhaite la deuxième option...

Anonyme a dit...

Moi 'ssi.

En plus elle porte le nom de ma coloc!

William a dit...

NON c'est vraiment pas moi, ni dans quatre ans ni maintenant! C'est l'image du gars qui est juste trop mou dans le couple, trop poche, trop suiveux...Et c'est l'image du couple qui stagne, dans lequel certaines personnes se complaisent beaucoup. Le couple poche qui n'a jamais de bouleversements, qui reste très linéaire et stable dans sa pocheté.

En fait, pour être franc, j'ai peut-être déjà ressemblé à ce gars-là (en moins névrosé) et ça m'a mené à étirer une relation beaucoup trop longtemps avec une fille qui n'était pas nécessairement bonne pour moi. Ça c'est le portrait de ce qui serait arrivé si j'avais jamais mis fin à cette relation...

Anne, inquiète-toi pas, je t'adore. Et, un jour, en parlant pour parler, j'en voudrais des enfants avec toi.

Et, oui, la fille c'est ta coloc, j'essayais de l'imaginer dans une relation à long terme, et c'est ça que ç'a donné. Comme quoi ça pourrait pas donner grand chose d'autre.

En passant Oli, je tiens à le spécifier, j'ai pas gagné numéro 1, plutôt numéro 3... 75$, c'est une baisse par rapport à l'année passée... damn it. Mais j'suis très content quand même. Et merci du commentaire.

William a dit...

En fait, j'y repense, et ce texte-là est très mobilisateur pour moi. Je l'ai écrit cet avant-midi et j'arrête pas d'y retourner. C'est parce que le dude représente exactement ce que je ne veux pas devenir dans quatre ans... Et ça me rassure de constater qu'en ce moment, dans ma vie amoureuse comme dans tout en général, je me dirige exactement dans le sens contraire.

Anonyme a dit...

troisième prix

ouch!

ça fait mal à l'égo hein bonhomme

from first to third
tient voici le titre de ta prochaine toune...

party a soir chez max bock
celui d'il y a un mois
tu dois avoir l'addresse dans tes courriels passés

t'es aussi excellent dans tes commentaires
on constate que tu maitrise très bien les signes de ponctutation
(.,;:'¨^Ç)
ainsi que les temps de verbe

Anonyme a dit...

Je suis Isabelle Perron.