28.8.06

VALCOURT LIVERPOOL

(Texte commencé depuis longtemps, sur lequel je travaille ces temps-ci parce que l'idée est pas pire)
Over men and horses hoops and garters
Lastly through a hogshead of real fire!
In this way Mr. K. will challenge the world!

- John Lennon & Paul McCartney



Paul m’a fait un lift jusqu’au local hier soir. Je l’avais appelé en après-midi pour lui conter le rêve que j’avais fait, et l’idée que ça m’avait donné pour l’album. J’ai pas eu le temps de finir, il avait déjà raccroché et partait me ramasser dans sa Citroën.

Mes parents habitent en-dehors de la ville, dans une grande maison de briques vraiment typique, les rideaux qui matchent avec la haie de cèdres et les plates-bandes. Un peu comme la maison dans Harold and Maude, mais British. Depuis trois semaines, le gazon avait pas été coupé, et la mauvaise herbe faisait des colonies. Liverpool était énorme depuis qu’ils avaient construit l’usine. Mon père disait que les taxes municipales étaient plus clémentes qu’à Valcourt, que c’était une des raisons qui l’avaient fait choisir Liverpool comme premier emplacement de la nouvelle division internationale de Bombardier.

Paul faisait jouer du Woody Guthrie dans son char ces temps-ci. On entendait la basse et le drum résonner quand il arrivait au bout du rang – ils appellent sûrement pas ça un rang ici, mais ça revient au même. Il a jeté le tas de linge sur le siège arrière pour me faire une place. Avant d’entrer j’ai glissé mon étui à guitare derrière.

George était assis à terre dans le local avec une fille au torse nu sur le sofa derrière lui. Ils fumaient dans une grosse pipe arabe – il appelait ça un hookah – qui ressemblait plus à un gros set de sprinklers. George grattait sa cithare. J’avais un peu de mal à détourner mon regard de la poitrine vraiment immense de la fille. Deux gros sacs de sable, couleur caramel – elle devait être Indienne – qui s’accrochaient à sa cage thoracique comme deux boulets au pied d’une anorexique. Et ses mamelons tout foncés, comme si on les avait trempés dans de la sauce soya, c’était affreux.

- Jesus, George, smells like cunt and hash in here. Did your guru tell you to stop showerin’? Put a bloody shirt on will ya? Bill’s got something to show us.
- All right, hold on. Jesus Christ… Hey Bill.
- And who is this? Your Buddha buddy?
Paul pointait la fille topless au-dessus de George.
- This is Carol, she’s from Dublin. She’s going to crash here with me for a few days.
- Sure. Just don’t go reachin’ nirvana on my goddamn piano, that’s all.

George habitait dans le local depuis une semaine. Depuis que sa mère le reniait. Ça arrive à chaque album. Il lui promet que c’est le dernier, qu’il va retourner aux études, devenir dentiste, se couper les cheveux et la moustache et la rendre fière. On finit par en faire un autre, et pis sa mère le renie. Ça dérange vraiment personne à part quand il se met à tripper Indien et à ajouter du curry dans tout ce qu’il mange. C’est de lui demander de faire des back vocals après un bol de riz au curry. Le local au complet se met à sentir la sweat-shop de Calcutta.

Deux jours avant, j’avais rêvé qu’on faisait un show dans un grand chapiteau. C’était un cirque, les jumelles trapéziste finissaient leur performance. On s’installait au centre de la tente. Je me souviens d’avoir regardé les visages des spectateurs et d’avoir eu une étrange envie de dégueuler. Leurs visages brillaient de toutes sortes de couleurs. Dans la foule, j’ai reconnu un Hitler mauve, Marilyn Monroe en noir et blanc, H.G. Wells et Einstein en pied de poule jaune et bleu. Vraiment fucké.

Bob Dylan, Dylan Thomas, Shirley Temple, Mae West, Karl Marx, Gandhi, Marc-André Coalier, Edgar Allen Poe, Lawrence of Arabia, René Lévesque, Oscar Wilde et Manon Rhéaume en kaléidoscope dans les estrades. Et pis ça c’est seulement ceux qui me reviennent, j’oublie sûrement Jésus et Woody Allen en quelque part là-dedans. Pis Réjean Ducharme en poncho carotté. Pis Quentin Tarantino, avec sa face de Quagmire, qui se branle en regardant l’éléphant dans les coulisses.

On commençait notre set au centre de l’arène avec une chanson que j’ai jamais entendu, je jouais du trombone – même si je sais pas jouer du trombone. Ça sonnait bien. Les gens dansaient, hochaient leur têtes. Mais tout était tellement surréel avec les couleurs et les motifs, et le fait que tout le monde, incluant moi et le reste du band, semblait plat comme une feuille de papier. Ma vision était absolument dépourvue de profondeur. J’avais l’impression de faire partie d’un immense collage vivant. Avec les bleus jaunes mauves rouges et violets, ç’avait plus l’air d’une grosse flaque de vomi de clown dans laquelle je pouvais discerner toute la scène.

Pour ajouter au malaise, j’entendais, par-dessus la toune qu’on jouait et les applaudissements, la voix de John étirée en un long «Aaaaah!» mélodieux mais un peu troublant. Il faisait les back vocals de mon rêve.
Quand je m’étais réveillé John chantait encore dans ma tête. J’ai pris ma guitare et j’ai composé cette espèce de valse macabre que j’allais montrer aux autres hier soir.

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