On est allés en vélo mardi passé, entre Stoneham et le Parc de la Jacques-Cartier. Un circuit d’une trentaine de kilomètres qui longeait la 173 – pittoresque ça, une route en asphalte rendue couleur béton, la forêt boréale dans toute sa densité de chaque côté et les semi-remorques et trucks à fifth-wheel qui te vibrent leurs moteurs diesel dans les tympans. On se sentait comme au New Hampshire, entre North Conway et Bethleem. Oui, c’est ça, comme la chanson : «Sur la route de Bethléem, le seigneur nous a parlé. Sur la route de Bethléem, sa lumière nous a guidés…» Comme sur un Kancamagus Highway mais en pas mal plus trash. Les cabanes – parce que ça serait mentir d’appeler ça des maisons, on parle ici de planches de plywood empilées pour donner un look «bardeaux de cèdre» à une remise en acier rouillé. Donc les cabanes sur le bord de la piste cyclable en gravier ont toutes l’air abandonné. La peinture écaillée s’envole à chaque fois qu’un train routier passe et les fenêtres tremblent dans le vent. J’imagine que c’est pour ça qu’y avait jamais personne quand on passait, le bruit des fenêtres qui claquent à longueur de journée doit être insupportable. Pas une seule voiture de stationnée dans les entrées. Pas un seul chien qui jappe quand tu t’arrêtes devant. Même pas un chien bâtard, à trois pattes, pas d’oreille, attaché à un bloc de ciment ou à un bumper de char, qui te jappe trois quatre toussotements avant de retourner se licher la couille qu’il lui reste.
On s’est arrêtés au Café Lunch Hamburger Steak License Complète – on a demandé le nom officiel du resto à la waitress et elle a dit d’le lire s’a pancarte – parce qu’Alice avait envie de pisser. J’ai eu le temps de jaser un peu avec un trucker qui s’appelle Jean et qui fait Montréal Chicoutimi aller-retour trois fois par semaine. Il m’a dit qu’il écoutait généralement du Claude Barzotti dans son truck, un peu de Dick Rivers, et qu’il était plus capable de sentir Alain Morisod lui non plus. Il m’a expliqué qu’en général il s’ajustait aux changements de température entre Montréal et Chicoutimi en portant des cols roulés en dessous de ses chemises. Il m’a dit que Stephen Harper était un ostie d’imbécile et que Charest allait tomber aux prochaines élections. Quand je lui ai demandé pour qui il allait voter, il m’a dit qu’il avait pas voté depuis que René Lévesque avait quitté la politique. Me voyant sûrement venir avec mon petit speech de Montréalais fatigant sur le devoir du citoyen en démocratie et sur le vote en tant que seul moyen de s’exprimer, il m’a tout de suite expliqué que «Quand t’as rien à dire, tu fermes ta yeule.» Ça faisait ben du sens. Il allait pas voter parce que le choix des partis politiques le laissait complètement indifférent.
Parce qu’y a une limite aux débats politiques que tu peux entretenir avec un étranger, j’ai mis fin à la discussion en lui souhaitant de gagner ses élections. Il l’a pas pogné, il m’a regardé comme si je venais de pisser sur la tombe de sa mère. Alors qu’en réalité j’avais aucune idée qui était sa mère, ni comment elle était morte, ni où se trouvait sa tombe pour que j’aille pisser dessus.
Entre le Café Lunch Hamburger Steak License Complète et le Parc de la Jacques-Cartier, Alice a fait un flat sur ses deux roues après avoir roulé sur des morceaux de miroir de char. On a dû marcher les cinq derniers kilomètres, parce qu’il me manquait un tube pour tout réparer.
Au bureau d’accueil du Parc de la Jacques-Cartier, on a été reçu par une femme en brun qui souriait beaucoup trop pour la dentition qu’elle avait. Ses dents ressemblaient à des petits boulots après une tempête de verglas. À chaque sourire qu’elle nous faisait, je sentais ma lèvre supérieure se serrer contre mes palettes. Elle nous a indiqué notre numéro de terrain de camping et on lui a payé cash. En sortant, une Américaine nous suivait vers le stationnement. Sa famille était autour de leur voiture.
- It looks fun! It looks fun! qu’elle criait, en tenant la brochure du circuit cyclable autour du Parc.
- Oué oué, du gros fun en canne, m’a murmuré Alice, en traînant son vélo vers la navette qui allait nous emmener au camping.
On a monté la tente, soufflé les matelas et on a dormi le restant de notre séjour. Jusqu’au lendemain après-midi, parce qu’il fallait quitter le site pour trois heures.
Je repense au trucker, aux deux flats sur le vélo d’Alice et à l’Américaine, et pis j’me dis que voyager devrait toujours être un peu plus comme ça. Des paysages étranges, des discussions d’un bord pis de l’autre, des commentaires cyniques sur d’autres touristes, et de quoi dormir le restant de la semaine.
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1 commentaire:
Il y a plein d'éléments qui me font sourire ici.
Charmant texte.
Charmant voyage.
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