17.8.06

ÉLOGE DU JOBBER (PIS Ç’A VRAIMENT RIEN DE PÉJORATIF)

J’suis pas un gars manuel. Mais j’essaie en crisse.

Depuis que j’suis tout petit, j’ai toujours été tourné vers l’univers du travail manuel. Mon premier mot a été «tracteur» – ça devait plus sonner comme «tat-teur». De zéro à cinq ou six ans, j’me faisais garder par Oma, grand-maman en flamand, et j’trippais parce que j’pouvais voir les gars travailler sur la ferme. Traire les vaches, ramasser la marde, faire les foins, érocher les champs, ramasser la marde, réparer la moissonneuse-batteuse. Ramasser la marde. J’me souviens d’avoir tenu longtemps en admiration mes oncles Urbain et Jos, parce qu’ils arrivaient de la ferme chez mes grands-parents, habillés en jeans usés, en chemises carottés – oui oui, typique là –, et pis ils sentaient toujours tellement bon.

Aujourd’hui, vingt-deux ans, poilu, voix beaucoup moins aiguë, ça sonne weird de dire ça de quelqu’un qui sent le foin, l’ensilage, la marde de vache, la sueur et pis l’huile à moteur. Mais il reste que j’haïs toujours pas l’odeur de mes oncles quand j’leur rend visite à la ferme. Ok, j’suis pas collé sur leur chandail en disant «hmm tu sens bon», mais l’odeur est juste pas répugnante. C’est dans ma tête.

Mais, admiration ou non, j’ai vite compris que le travail manuel pour moi n’était pas un talent inné. Parce que j’suis convaincu qu’y a une partie très précise du cerveau qui s’active quand t’es en mode «travail manuel», et une toute autre en mode «travail intellectuel». Et pis y’a des dispositions prédéterminées qui aident certainement. Un petit crisse aux poignets de la grosseur d’une corde à bale, monté sur un frame de chenille, c’est pas mon idée d’un gros travailleur. J’pense par contre que ç’a pas seulement besoin d’être inné comme talent.

Depuis quelques années, je m’arrange pour me trouver des jobs qui me mettent physiquement à l’épreuve. Ma mère, fille de cultivateur, est encore toute fière quand j’arrive de ma job – qui revient en général, à part pour quelques périodes de l’été dont ces temps-ci, à une job d’arrosage et de désherbage – et je lui conte ce que j’ai fait de ma journée. Je pense que j’ai allumé tout son visage l’autre jour, quand je lui ai dit que j’avais conduit une pépine. «Wow, tu diras ça à ton oncle Urbain.»

Je comprends la fierté de ma mère parce que, secrètement, je l’ai aussi. Ça vient de très loin en-dedans. Et pis j’pense que tous les hommes l’ont en quelque part, cette fierté. C’est peut-être sexiste, mais à tout le moins, si ce l'est, c’est aussi social.

Cette semaine, j’étais sur un chantier où on devait défaire trente pieds d’un mur de briques, repousser la terre, et en monter un nouveau avec des briques plus foncées; et j’me suis surpris à prendre un plaisir presque malsain à travailler un peu plus fort pour impressionner le petit couple de Montréalais-ayant-une-résidence-secondaire à Bromont – la haine des Montréalais-ayant-une-résidence-secondaire-en-région, c’est un tout autre sujet qu’on n’abordera pas ici. J’me voyais pelleter, garocher les grosses briques dans le truck, donner des coups de pic, comme s’ils tenaient chacun un AK-47 pointé vers moi.

La sueur – de la vraie bonne sueur – coulait sur mes joues et dans mon cou, mon t-shirt commençait à coller et mes cheveux mouillés me tombaient dans les yeux à chaque coup de pic.

Ma sœur jogge, monte des montagnes, fait du vélo comme une bête. Elle tire un plaisir vraiment intense dans le fait de pousser les limites de son corps au bout. Le feeling de plus sentir ses cuisses, de respirer comme un ventilateur qui a le hoquet, d’avoir un goût de fer dans la bouche et de perdre connaissance pendant une demi-seconde à chaque trois pas; c’est intense là. C’en est thérapeutique, et presque transcendantal. Moi j’dois dire que depuis que j’fais des jobs plus exigeantes physiquement, j’comprend beaucoup mieux son trip. Parce qu’y a pas que les couples de Montréalais à impressionner.

Quand j’me défonce sur la pelle comme cette semaine, ça chatouille un besoin qui dort chez tous les hommes, et chez certaines femmes. Le besoin que je reconnais dans les yeux du mari Montréalais quand il me parle de la job, avec ses questions d’initié : «Ça vous fait des grosses journées ça, hen?», «Ben occupés ces temps-ci, avec la chaleur pis l’humidité?», «En arrière, tu mets du zéro trois quarts ou de la poussière de roche?» Pis moi j’répond en fonction du titre qu’il m’a donné, le rôle que j’assume la minute que j’pose la pelle sur la pile de gravier ou la main sur la brique. Avec juste assez de nonchalance, comme si c’était mon cinquantième mur de brique cette semaine – plus comme mon premier, à vie.

«Ah non non. On met du trois quarts net les deux premiers pieds, pis après on remplit avec de la belle terre.»

Dans l’fond on est pareils, lui et moi. Les deux on a aucune idée de quoi on parle, on prend les rôles que nos orgueils de mâle nous imposent. Parce que lui répondre «j’ai aucune idée, c’est la première fois que j’pose ça, y’est quelle heure, au fait, faudrait pas que j’oublie de prendre mes pilules pour ma dépression, depuis mon divorce, tsé, j’suis tellement down, j’dors jamais plus que quinze minutes consécutives» gâcherait toute l’image que j’avais bâtie avant, avec la sueur et les coups de pelles.

D’habitude j’évite ce genre de généralité, mais là j’y crois vraiment, et pis, pour l’été, ça se trouve que j’occupe justement un de ces postes, donc j’peux me permettre de faire du pète-bretelles : j’pense qu’en quelque part, à différents degrés, tous les gars admirent le jobber, celui qui vit de ses bras, de ses mains et de son corps, pis qui en a rien à crisser de la littérature, ou du cinéma indépendant, ou de la haute-culture.

J’pense à mon père, à comment j’étais toujours étonné de l’entendre parler aux commis du Rona. Comme s’il était foreman sur un chantier de construction. Il demande quel type de drain il devrait mettre dans sa cour en garnotte, et pis le gars lui sort sa liste de particularités pour chaque type de drain. Probablement une affaire qu’un représentant lui a montré – les commis du Rona, quoique souvent tout aussi sages, ne seront jamais des vrais jobbers. J’me rend compte de plus en plus que cette voix du gars qui connaît ça, on la prend tous presque immanquablement quand notre crédibilité en tant qu’aspirant jobber est mise à l’épreuve. Mon père, le Montréalais-ayant-une-résidence-secondaire-en-région, l’horticulteur étudiant en littérature, on est tous des osties d’imposteurs. Mais c’est toujours mieux d’imiter le jobber que de passer pour le contraire.


***

Le break arrive à la job du mur de briques. Mes collègues partent en pick-up pour le garage municipal – les filles ont envie, Pascal doit appeler son comptable. Moi j’reste sur le lieu de travail, sous les yeux des Montréalais qui déjeunent sur leur balcon. Je m’installe sur le siège de la pépine, les jambes croisées aux chevilles, et j’commence à manger ma sandwich au beurre de pinottes. Je sors mon livre de Steinbeck que j’ai décidé de recommencer cette année. Travels With Charley, son récit de voyage à travers les États-Unis, en 1962.

Mange mange, lis lis, déjeune déjeune, j’entame ma troisième page quand j’me rend compte que j’suis en train de lire un livre. Non! La sueur! Les cheveux trempes dans les yeux! Les coups de pelles! Les répliques de jobber!

Je croise le regard du mari Montréalais sur son balcon, il me sourit et me dit quelque chose comme «Ça c’t’un bon break.» He he, oué mets-en.

Ok, l’image a pas l’air trop pire. Au moins j’ai pas les jambes croisées aux genoux. C’est peut-être rendu correct qu’un jobber lise de la littérature américaine. J’passe peut-être juste pour un jobber un peu plus cultivé que la moyenne. Un jobber qui s’instruit aussi. Pis tsé, Steinbeck c’est quand même pas Proust. Si j’avais lu Du côté de chez Swann, j’aurais été démasqué depuis longtemps.

Juste quand j’pense que c’est correct, que l’image du jobber est préservée pour après le break, j’vais pour reprendre ma lecture. Mais juste avant, un coup d’œil vers le balcon réveille Miss Montréalaiseuh-ayant-une-résidenceuh-secondaire-en-région.

«C’est de la grosse philosophie, ça là?»

Moi le gros cave d’étudiant en littérature, qui a rien d’un authentique jobber, rien même d’une garnotte dans une botte à cap d’acier d’un authentique jobber, ou d’un poil dans une authentique raie jobbeuse, comment j’ai pu? Comment j’ai pu laisser tomber mon image, mon standing devant ces fucking Montréalais profs de cégep ou fonctionnaires de mes deux, pour mon humour de geek? Pour une mauvaise joke d’intello, tabarnac! Moi, l’épais, de lui répondre ce qui va devenir une maxime célèbre un jour, dans les annales des pires répliques faites à une Montréalaise-ayant-blablabla. Moi de lui répondre ce qui va être le dernier coup de pelle dans la tombe de mon orgueil mâle :

«Ben, c’t’à peu près le plus de philo qu’on peut s’permettre quand on mange une sandwich au beurre de pinottes.»

Ostie d’épais. Anyway, y m’reste encore des Montréalais, ou Bromontois, ou commis d’un Rona, à convaincre. Prochain coup, j’le brûle le livre. Ou mieux encore, je l’enterre à grandes pelletées de zéro trois quarts.

5 commentaires:

olivier nj a dit...

beau texte
je comprends très bien ce que tu raconte.
je pense qu'on a tous en dedans ce gout de vivre de nos bras,
mais faute de savoir comment ou de pouvoir toffer assez longtemps, je me rejette sur l'intell...
en tout cas proftie des dernières semaines de job, le retour à l'école de fera bientôt

olivier nj a dit...

je pensais à ça aussi
à l'inverse on voudrait aussi être capable de vivre juste de notre intellect. tu reste assis (ou en mouvement) toute la journée à réfléchir et ça te fait gagner ton pain. Juste réfléchir et s'exprimer. tellement intelligent que t'as même pas besoin d'écrire, de poser un seul geste.
ça sonne assez plate comme job par exemple. bon...

William a dit...

Oué sauf que le problème avec une job comme celle dont tu parles, c'est que ça serait jamais aussi convoité que la job de bras. Parce que c'est ben trop abstrait. T'aurais aucun résultat concret à la fin de ta journée.
Pis faudrait gérer ça comment? T'aurais une heure de lunch, durant laquelle faudrait que t'arrêtes de réfléchir? Ça ferait des esties de beaux embouteillages au centre-ville à l'heure du dîner ça!

Pauly a dit...

c'est drôle ça, une heure de lunch pendant laquelle t'arrête de penser.
t'es obligé de tomber dans la lune sinon t'es payé overtime

olivier nj a dit...

c'est bizarre parce que c'est pas pauly qui a écrit le commentaire , mais moi qui continuais.
soi y'a un bog, soit y'a quelqu'un qui a le même nom et code que moi à quelques lettres près. shit manuel et mental des fois sont pas trop en accord