Napoléon Sénécal est un des premiers missionnaires français à apprendre et à traduire les différents dialectes amérindiens au seizième siècle, en Nouvelle-France. Sa plaque en bronze de deux pieds par deux pieds, au musée Pointe-à-Caillère, raconte qu’il est né en 1505 à Villarsel en Suisse. Lors d’un voyage dans ce qui est maintenant l’est de l’île de Montréal, en partant de ce qui est maintenant Québec, il a été tué par un jeune Iroquois qui avait pris sa soutane et sa grande cape brune pour le dos d’un orignal. Avant de mourir, une paire de flèches entre les omoplates, il aurait dit à son guide Algonquiens que ce sont des choses qui arrivent quand on porte du brun.
Auguste est venu me rejoindre à quatre heures de l’après-midi, dans le parc Napoléon-Sénécal devant chez moi. Je finissais de rouler un gros splif qu’on s’est empressés de fumer en pensant que ça allait nous réchauffer. Je le connais depuis la maternelle. Il a déménagé à Saint-Jean l’été passé mais il monte à Montréal pour le cégep. On est les deux en sciences humaines à Maisonneuve. Après le joint qu’Auguste a écrasé sur un banc du parc, on est descendu au Métro.
T’aurais dû voir les feux cette année, Auguste m’a dit.
J’sais pas, ça m’endort moi ça.
Pas ceux-là. Ils duraient une heure.
Justement. Une heure à regarder des pétards dans les airs.
Moi j’capote. Tout c’qui explose.
On a franchi les grosses portes tournantes de la station de Métro. Une bourrasse d’air chaud m’a forcé de fermer les yeux. Auguste les avait gardés ouverts, ils étaient maintenant pleins d’eau. Il m’a demandé comment allait Justine.
Sais pas. On n’est pu ensemble.
Non?
Non.
Depuis quand?
Hier.
Comment ça? C’est elle ou c’est toi?
Elle.
Ayoye.
Mets-en.
On est descendus à côté de l’escalier roulant, sur les marches de grosses pierres carrées. Dans le sens inverse un voyage de personnes revenant du travail, de l’école, de l’épicerie, montaient l’escalier roulant avec des longs visages gris et cernés. Des faces d’enterrement. Aux tourniquets du Métro, on a montré nos cartes à la femme dans son kiosque. On a pris la direction Angrignon. Dans le tunnel, en attendant le train sur le quai, Auguste a commencé à me conter ce qui est arrivé à sa cousine la dernière fois qu’elle a pris le Métro.
Est embarquée dans le train juste quand les portes se fermaient. Elle avait un rendez-vous important chez sa gynécologue. Est enceinte de six mois ma cousine. Elle était déjà en retard de dix minutes en partant. Pis c’était le deuxième rendez-vous qu’elle ratait. Son chum, le grand Carl que t’as vu l’autre jour. Que j’appelle le Grand Cave. Parce qu’il l’est. Il la bat, tsé. Et si elle ratait ce rendez-vous là, il le saurait en crisse. Même enceinte, il s’gêne pas. En sautant dans le Métro, un gros tas l’attrape dans ses bras. Elle se redresse un peu, le remercie, il sourit, elle se retourne vers les portes et elle s’accroche à un poteau. Le gros tas, j’pense qu’il était Arabe ou Tamoul, la lâchait pas des yeux. À chaque station, elle le voyait dans le reflet des portes qui se fermaient. Il souriait comme un gros porc dans un buffet chinois. Un vrai sourire de maniaque là. Pis le gars devait mesurer un bon six pieds quatre, et peser deux cent soixante-quinze livres. Ma cousine, tu l’sais, tu l’as vue, pas plus grosse qu’un poil, même enceinte. J’peux te dire qu’était petite dans ses leggings. Le Métro arrivait à Berri, elle débarquait là, sa clinique était dans le building. En sortant, elle regarde pas en arrière avant d’arriver aux escaliers roulants. Elle se retourne et voit le gros juste en arrière d’elle. Le gros smile figé dans face.
En me contant l’histoire de sa cousine, Auguste est allé s’asseoir sur le bord du quai. Les pieds pendant au-dessus des tracks. Je suis resté debout à côté. Je l’écoutais continuer son histoire en regardant ses pieds qui se balançaient dans le vide.
Ma cousine lui a sourit, mais elle commençait à chier dans ses culottes. Le gros l’avait pas lâché depuis qu’elle lui était tombée dessus dans le Métro. Arrivée devant la clinique, les portes étaient fermées. Elle avait raté son rendez-vous. Elle a commencé à brailler. Une grosse main lui a pris l’épaule, c’était celle du gros crisse d’Arabe. Il l’avait suivie jusque là.
Auguste a pris une pause dans le crucial de son récit. Il s’est mis la main au visage. Il saignait du nez. L’air étonné, il a fouillé dans ses poches, n’a pas trouvé de mouchoir, a pris une mitaine pour bloquer la narine. Je lui ai demandé si ça arrive souvent. Il a fait signe que non.
À ce moment-là, tout s’est un peu mêlé. Je me souviens de l’avoir entendu, d’avoir vu les lumières arriver dans le tunnel. Une femme en arrière a crié. Auguste a essayé de se lever, mais, en tenant d’une main la mitaine sur son nez, il n’a pas bougé assez vite. Le Métro s’est arrêté en urgence à la moitié du quai. J’ai vu le chauffeur débarquer en courant vers nous. Les gens autour pleuraient, la femme criait dans les bras de ce qui ressemblait à son mari, même s’ils avaient des airs très familiers. Frère et sœur, peut-être.
Je me suis retourné vers Auguste. Il était tout blanc, couvert de spasmes, le Métro lui avait complètement arraché la jambe. Jusqu’à la mi-cuisse. Sa mitaine couverte de sang traînait à côté. Je me souviens surtout du torrent de sang de sa blessure, partout sur le quai. Une traînée le long du Métro, d’ici jusqu’à l’avant. Le chauffeur m’a tassé sur le mur et a commencé à faire un garrot à Auguste, pour arrêter l’hémorragie, sur ce qui lui restait de sa jambe gauche.
Au bout de deux minutes, qui semblaient plus comme dix, trois gros policiers sont descendus, ont demandé à tout le monde dans le Métro de monter aux tourniquets. Deux autres minutes, des ambulanciers ont commencé à essayer de réanimer Auguste. Les trois gros policiers du début, en voyant qu’Auguste saignait du nez, m’ont mis des menottes. Ils pensent que je l’ai poussé, qu’on s’est battus. J’aurais aimé avoir la femme qui a crié avec moi à ce moment-là, elle leur aurait dit que je suis innocent. Ils me posent plein de questions qui font aucun sens : Pourquoi vous vous êtes battus, Tu le connais tu, Es-tu un Blood – le nom d’une gang de rue à Montréal qui vit le deuil d’un membre mort le mois passé, un peu de la même façon, aux mains de membres d’une gang rivale. On s’est pas battus, Son nom c’est Auguste Poirier on se connaît depuis la maternelle, Non j’suis pas un Blood j’suis le gars le plus straight de la planète, Auguste aussi. Ils me tiennent très serré, les bras derrière le dos.
Au-dessus de l’épaule d’un des policiers, je vois les ambulanciers qui essaient de réveiller Auguste. La flaque de sang rejoint maintenant mes bottes, contre le mur. Un des ambulanciers me regarde, il se lève, enlève ses gants de latex et marmonne quelque chose dans son walkie-talkie. Il tape l’épaule de sa collègue qui continuait les manœuvres sur Auguste. Elle arrête.
Homicide involontaire. À Bordeaux pour dix ans. Le Métro était rempli de monde, mais on n’a pas réussi à trouver un seul témoin. Même pas la femme qui a crié, ou son mari, ou son frère. Je partage ma cellule avec un pyromane qui est tombé sur la van de l’équipe pyrotechnique du Festival des Montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu. Il a mis le feu a trois maisons avec des gros pétards multicolores. Il dit avoir toujours trippé sur tout c’qui explosait.
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