23.1.06

Down Low Mexico

Un texte sans intrigue (c'est-à-dire que j'l'ai pas encore déterminée) mais dont j'aime le début et la fin. Reste juste à savoir qu'est-ce que le gars raconte vraiment.

Mon père avait un ami représentant d’équipement de chasse. Jean-Guy, qu’il s’appelait. Ma sœur et moi, on disait Hean-Guy, parce qu’il ne prononçait pas ses j. Il les changeait en h, comme en espagnol. Il disait de l’arhent, du hibier, et le Saguenay Lac-Saint-Hean. Il nous rendait visite à chaque deux semaines, et il amenait toujours une patente de chasse pour impressionner mon père, qui chassait à peu près pas, sauf quand il y avait des marmottes dans le garage.

Hean-Guy Hobin avait un bras en moins. Il faisait beaucoup rire mon père quand il essayait de le convaincre de s’initier au tir à l’arc. Il l’invitait toujours à des fins de semaines de chasse au Lac Mégantic. Mon père disait que c’était juste parce qu’il se cherchait quelqu’un pour tirer la corde pendant qu’il tenait l’arc.

Quand on lui demandait ce qui lui était arrivé, pour qu’il perde un bras, il disait qu’il l’avait perdu en chassant des lions au Brésil. On écoutait son histoire à chaque fois. Jusqu’à temps que ma sœur fasse une recherche sur les lions et qu’elle découvre qu’il n’y a pas plus de lion au Brésil que de palmiers à Cowansville. Après ça il a dû se servir de son imagination.

Le pire, c’est qu’avant, h’en avais trois bras.

Il levait son chandail et montrait une cicatrice qui partait de sa hanche, en ligne droite jusqu’à son épaule. Il faisait un clin d’œil à mon père et se mettait à conter son histoire. Il était né avec deux bras droits. C’était pour ça que sa mère lui avait donné deux prénoms, parce que ça lui faisait deux mains droites pour signer son nom.

Il avait dû lâcher l’école à 13 ans pour aider son père et ses grands frères sur la ferme. Les Jobin possédaient la plus grande terre agricole des Cantons-de-l’Est, avant que les Ménard s’installent à Ange-Gardien. Ils engageaient trois employés par été, en plus des trois fils. Érocher, labourer, ensemencer, faire les foins, le train, en plus des imprévus, à huit employés, le père la mère y compris, ils étaient juste assez. Un été, quatre Mexicains avaient offert leurs services au tiers du salaire qu’aurait demandé un des voisins.

Hean-Guy avait passé cet été avec le plus jeune des Mexicains, un homme de trente-cinq ans à la moustache prépondérante. Hean-Guy avait 14 ans. Après le travail, ou entre les voyages de foin, les deux partaient à la rivière au fond des terres. Juan leur roulait chacun une cigarette qu’ils fumaient les pieds dans l’eau. Hean-Guy faisait des bonds avec des roches sur la rivière, pendant qu’il tenait son coke d’une main et sa smoke de l’autre.

Les Maurier, voisins de l’autre côté de la rivière, avaient trois filles. La plus jeune avait l’âge de Hean-Guy. Vienna qu’elle s’appelait. Elles descendaient souvent à la rivière se baigner. Juan et Hean-Guy se cachaient derrière des buissons, cigarette dans la gueule, une main dans la poche. Les Maurier n’étaient pas trop pudiques entre elles. Elles descendaient presque à tous les jours quand il faisait beau. La plus vieille, Claudette restait sur le bord et se faisait bronzer. Mylène et Vienna nageaient dans le plus creux, souvent pendant très longtemps. Hean-Guy et Juan se roulaient plusieurs cigarettes et regardaient tranquillement le spectacle à travers les buissons.

Au premier jour de beau temps, après une semaine de pluie, au mois d’août, ils étaient descendus à la rivière retrouver les trois filles. Pendant que Juan roulait les cigarettes, trois gars étaient sortis derrière les filles. Les trois gars étaient Maurice et Carol Chaput, et Mario Fréchette. Les trois habitaient dans le village. Les filles se cachaient du mieux qu’elles le pouvaient.



Mon père m’a conté dernièrement que Hean-Guy était mort la dernière journée de mon secondaire cinq, à 83 ans. En réalité, il a perdu son bras dans un accident de moto quand il avait 17 ans. Il a été coincé entre le bumper d’un truck, qui avait freiné brusquement devant un chevreuil, et celui d’une auto qui les suivait. En sang et démembré au milieu de la route, il a vu le chevreuil sauter le fossé et rentrer dans la forêt. Sa petite queue blanche bondissait dans la noirceur en signe d’adieu, ou d’excuse.

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