Des nuages s'étaient accumulés au-dessus de la ferme, elle attendait Claude et les autres pour faire entrer le bétail. Le pick-up descendait la pente lentement. Elle voyait Laura debout dans la boîte, son ventre rond et gonflé, et la tête frisée de Freddy juste au-dessus des panneaux des côtés du camion. Derrière le trailer, Marie la nièce regardait par terre. Ses boucles blondes et mêlées lui fouettaient le visage. La tôle du trailer ondulait et cognait à chaque bosse sur le chemin.
Le camion descendait vers la ferme, les deux chiens tout sales du voisin suivaient de chaque côté en jappant vers les enfants. Claude ralentit un peu en arrivant devant la clôture de tuyaux d'acier. Le bumper du camion toucha le gros panneau rouillé et commença à le pousser lentement. Claude fit signe à Laura de s'asseoir.
Depuis que l'ouvrier était parti pour la ville, Claude avait dû calmer ses activités, et donner une partie de ses terres pour des peanuts, à des Américains. Tanné d'avoir à sortir du camion ou du tracteur pour passer du champ à la ferme, ou l'inverse, Claude avait fabriqué une clôture à ressorts qui pivotait et qui revenait toujours en place, grâce aux trois énormes ressorts posés sur les pentures. Le camion, ou le tracteur, poussait lentement le panneau rouillé posé à la hauteur du bumper, la barrière frottait le côté du véhicule - Claude avait enroulé des vieux chandails de laine et de coton au bout du tuyau pour ne pas grafigner la peinture. Puis, une fois le camion passé, la barrière fouettait l'air et revenait en place, pour empêcher les animaux de passer.
Le coussin de chandails frottait sur la porte du passager. Marie la mère arrivait tranquillement devant eux, en souriant à Laura et Freddy qui penchaient la tête par-dessus les panneaux du camion. Elle regarda le tuyau de fer tendu et raide longer la boîte du camion. Claude arrêta le pick-up quelques secondes pour envoyer quelques becs à sa femme. Puis repartit un peu plus vite, en souriant.
La suite des événements reste encore floue aujourd'hui dans la mémoire de Freddy, il se souvient de ses quelques longues couettes frisées qu'il avait vues passer devant ses yeux quand le camion freina brusquement. De Laura qui était tombée par-dessus le panneau de côté du camion, dans un tas de foin qui moisissait là depuis l'été d'avant. Il se souvient que ce fut le visage de Marie la mère qui avait fait freiner Claude. Ses yeux, surtout. Marie la mère laissa tomber le sac de plastique rempli de carottes, et poussa un cri sec et strident en regardant derrière le camion: «Claude!»
Tout a dû se dérouler en moins de cinq secondes. Il devait y avoir environs deux mètres entre le dernier billot d'épinette et la tête blonde de Marie la nièce. Elle regardait toujours ses pieds, le sol ou les deux. Parce que Claude avait tourné un peu vers la droite, pour ne pas frapper sa femme qui attendait devant à gauche, la tension dans les ressorts de la barrière était à son plus fort quand le tuyau d'acier longea les billots sur le trailer. Au bout du dernier billot, le tuyau se défit de la tension en fouettant le vent à toute vitesse.
Un dernier bruit de tôle résonna avant que le camion et le trailer ne soient complètement immobiles. Freddy regarda sa soeur sur le tas de foin moisi, il vit sa mère du coin de l'oeil immobile, les mains au visage. Puis il vit Claude ouvrir la porte, sauter en bas du camion et courir vers l'arrière du trailer. Par-dessus les billots, il ne pouvait voir que la casquette de son père s'arrêter brusquement devant la barrière, suspendue dans les airs. Il se leva et traversa la tailgate. Il sauta sur le trailer encore tremblant et courut vers l'arrière.
À plat-ventre sous la clôture, le visage dans le chemin, Marie la nièce ne bougeait pas. Un gros trou rouge tachait ses cheveux blonds. La barrière l'avait frappée, avec toute la tension des trois gros ressorts posés sur les pentures. Claude la prit dans ses bras, et en la renversant, fit couler de sa tête un long filet de sang sur ses pantalons. Et les deux chiens bâtards du voisin s'étaient approchés en lèchant le sang sur le chemin, et sur les cuisses de Claude. Puis, Freddy se souvient d'avoir vomi sur un billot d'épinette à ce moment-là.
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