10.10.05

LES CHRONIQUES FRIBOURGEOISES: ENTRETIENS AVEC GARY BANCROFT (NOTES DE HANS FISCHER - BOSTON HERALD)

Jeudi, 24 février 1992
Entretien #1: Boston - Faneuil Hall 8h30.
Le corridor est long d'environ trente mètres, et étroit, pas plus que deux mètres. À voir la profondeur, accentuée par le vert pâte-à-dent des murs de plâtre et les mini-stalagtites - ou stalagmites, je sais plus - en stucco au plafond; on s'attendrait à un écho monastique. Mais même les semelles de bois de Mireille semblent cogner dans de la ouate - on doit rencontrer le bruiteur demain, faut lui en parler. Le son s'étouffe dans l'air climatisé, ou dans les quelques toiles d'araignées des coins de murs. En revenant, un gros plan sur les toiles, et le plafond de stucco, serait intéressant - une lentille fish-eye pour filmer le parcours à partir de l'ascenceur, aussi. Avant d'arriver au bout, à peu près aux deux tiers, c'est le 304. La porte est déjà ouverte, ça sent le couscous - on pourrait glisser une image de couscous des archives, c'est un peu du coq à l'âne, mais ça colle très bien avec Bancroft. Mireille cogne et la porte s'ouvre un peu plus. On ne le voit pas encore, derrière l'étagère remplie de périodiques en plein milieu de ce qui pourrait passer pour un salon, mais on entend: «Entrez donc.»

Les cheveux bruns, grisonnant au-dessus des oreilles et derrière la tête, la moustache au poil rigide et roux rendent au sourire de Gary Bancroft un aspect mi-clown, mi-leprechaun. On installe le matériel pendant qu'il regarde une revue de chasse et pêche, un American Hunter. Il y a Charlton Heston en camou, assis sur un VTT. Il mâche quelque chose, peut-être un ongle - ses ongles sont tout rongés. Mireille prépare le cadrage; deux caméras, une mobile et une fixe. Il est assis sur une pile de papiers, sur un divan de corduroy mauve complètement recouvert de livres, de journaux et de papiers de toutes sortes. Il pousse un rire, lance Heston sur la table à café - qui, comme de raison, est couverte de taches de café.

L'apartement est énorme: un plafond de dix pieds, et tout le côté Est est fait de grandes fenêtres à carreaux. Bancroft commence à nous raconter comment Michael Johnson, l'astrophysicien pédophile, avait raté une tentative de suicide dans un apartement voisin, quelques années auparavant - l'été '89. Il voulait se défenestrer, mais il avait oublié de défaire un cran de sécurité sur la fenêtre qu'il croyait pouvoir défoncer en la percutant à toute vitesse. Ç'a résonné sur tout le palier, il a perdu connaissance sur le plancher de son salon. «Il s'est habillé pour l'occasion. Mais j'arrive pas à comprendre comment un homme relativement intelligent puisse considérer le violet et le rouge comme des couleurs complémentaires. Il devait penser qu'il partait pour le cirque.» Johnson a été condamné à quinze ans fermes, à North Franklin, quelques mois plus tard, pour avoir soutenu un réseau de pornographie infantile.

Bancroft répond à toutes mes questions avec sa lenteur légendaire. Tous ses gestes sont secs et rapides, mais ses lèvres et son visage s'agitent doucement, au rythme de ce qu'il raconte, presque machinalement. Mireille prépare du café dans la cuisine, après que Bancroft lui ait expliqué comment. On boit un café à la fin de l'entrevue. Il ne semble pas tellement indisposé par notre présence. Tout petit, trapu, il s'assoit en Indien sur le divan. Il ressemble à un petit Bouddha Irlandais. La comparaison n'est pas mauvaise, on pourrait peut-être sortir aussi une image de Bouddha - ça conviendrait, en tout cas, au ton plus dynamique, plus sec qu'on veut inculquer au film. L'image doit re-présenter Gary Bancroft, tant d'un point de vue symbolique que textuel. Les contrastes dans les tons seront comme les contrastes dans ses gestes et ses paroles. C'est correct.

L'Entrevue a duré une heure, c'est dans les temps. En quittant, on se sert la main. Il sourit et prend note de notre prochain rendez-vous dans sa tête, en se le répétant à voix haute plusieurs fois. Derrière lui, par la fenêtre, Faneuil Hall commence à s'activer, le soleil frappe les panneaux vitrés et les camions de livraison arrivent et repartent. Mireille me fait remarquer, dans l'entrée, les tableaux des grands ponts de Fribourg. On en filme une séquence puis on descend par l'ascenceur. Bancroft nous accompagne jusqu'en bas, il finit sa cigarette dans le hall d'entrée avant d'aller faire son jogging. Il sourit une dernière fois en notre direction. Il attache ses Adidas de course et part vers Faneuil Hall. Il n'a pas fait quinze mètres qu'une petite brume semble déjà s'élever de son crâne. C'est peut-être seulement l'air de février, mais il reste qu'il n'a pas la silhouette de quelqu'un qui court régulièrement. Bon, je le note, mais ça veut sûrement rien dire.

On finit l'avant-midi au montage, au centre-ville.

3 commentaires:

olivier nj a dit...

vraiment intéressants, surtout les petits détails. Je ne sais pas quoi te dire d'autre, mais c'est bon

Anonyme a dit...

J'ai hâte de voir la suite...
T'as même pas fais une faute. J'aime ta description... T'es vraiment bon... J'adore le style. T'es un original mon snoro!
L.

William a dit...

Ah, c'est ça.
Merci!