17.10.05

Kaptain Kirk

«You gots to throw it back there, boy.» Kirk mâche sa brindille, sa casquette flotte sur ses cheveux châtains gras. Torse nu sur le siège du tracteur, le star-spangled banner tatoué sur le coeur, il parle au petit cousin des enfants du voisin, Kyle. Le cousin s'appelle Kevin. Il transportait les balles de foin de l'avant de la cage à Noël vers le côté, avant que Kaptain Kirk, son patron pour la semaine - le temps de ses vacances chez l'oncle Kyle -, ne lui dise de les placer à l'arrière. La cage est à moitié pleine. Les barreaux jaunes empestent le tétanos et Kevin s'y frotte comme un poodle au printemps, ramassant les balles de foin qui font presque deux fois sa taille du bout des bras.

Ce sont les filles de l'oncle Kyle, Keisha et Karey, qui l'appellent la cage à Noël, parce qu'à Noël, les enfants s'y assoient sur des balles de foin gelées. On attache la cage à Noël au tracteur et on part chercher le père Noël sur les sentiers derrière le champ et l'ancienne étable. Kevin tire deux balles pour en déloger une troisième qui lui coinçait la jambe. Kirk sourit, donne trois coups de gaz au tracteur. L'échappement ronronne fort et grave dans l'oreille encore bonne de Kevin. L'autre n'a jamais fonctionné. Il est né avec une seule bonne oreille. Sa mère fumait trop de crack pendant sa grossesse, sans doute avant et après la grossesse aussi. Il tasse la première balle vers le fond, transpire un coup, ferme les yeux. Il marche sur le foin entassé vers la seconde balle qu'il avait bougée. Sa camisole blanche, en petit coton cheap, une mini wife-beater, est toute mouillée et déchirée à plusieurs endroits. Son dos est couvert de taches de rouille et d'écailles de la vieille peinture jaune de la cage.

Le tracteur commence à avancer, ça donne un gros coup dans la nuque. Kevin tombe sur son derrière. Il en profite pendant que Kirk avance pour attacher sa botte - celle de l'oncle Kyle, trop grande et trouée au talon. Il fait deux noeuds et passe deux fois autour de sa cheville avant de faire une boucle. Une boucane noire s'échappe du grand tuyau vertical à l'avant du tracteur. Ailleurs, le ciel est presque parfaitement clair. Le soleil est complètement derrière, il chauffe encore autant. Kevin s'essuie le front, et reprend l'ouvrage. Avec le tracteur qui est en mouvement et la cage qui suit, les balles tremblent et s'arrachent plus facilement. Il en fait trois avant de perdre l'équilibre près des tuyaux bruyants et branlants, qui forment les murs de la cage. L'équilibre est plus compliqué, en mouvement.

Kaptain Kirk crache sa brindille: «Look out, boy.» Ses narines s'ouvrent et se referment au rythme de ses paroles et son front tout en sueur se plisse. Les cicatrices, les rides sur son visage, les sourcils presque tous brûlés, sa peau brune; Kirk n'a pas d'épouse. Il a plusieurs femmes; Korine, Kristen, KC - toutes accrochées au bras de vitesse du tracteur, par un élastique. Pendant qu'il traverse le champ vers la grange, sur le chemin rocailleux de l'autre voisin, Koko; Korine, Kristen et KC pivotent aux bosses, au vent et à chaque fois qu'il change de vitesse.

Kevin crache aussi une brindille qu'il avait failli avalé, à cause du vent. Il regarde en avant. Après la douzaine de balles de foin, le dos brun et crasseux de Kirk ondule de gauche à droite sur le tracteur. Sa tête hoche de gauche à droite, comme une poupée de plastique sur le tableau de bord d'une voiture. Kevin en est à son dernier jour sur la ferme du voisin de l'oncle Kyle. Demain, c'est le retour à Montréal.

Il aura droit à un souper avec les cousines et Kyle et sa femme, Kim. Il a vu le steak de flanc sorti pour dégeler ce midi, et de la cage à Noël, il a pu voir Kim et les filles cueillir des patates, peut-être des carottes. Il prendra une douche ce soir en arrivant, en oubliant les brûlures de l'eau sur les égratignures de sa peau. La douche sera bonne, parce qu'elle sera la dernière. Il faut profiter des dernières choses, surtout quand elles sont bonnes. Le tracteur s'arrête derrière l'ancienne laiterie, la cage arrête son bruit d'acier rouillé quelques secondes après.

Kaptain Kirk attrape sa chemise à manches courtes, en marmonnant une vieille chanson folk ou country, «Oh death, won't you spare me over to another year». Kevin saute en bas de la cage à Noël, en sifflant le même air.

3 commentaires:

olivier nj a dit...

K, du K du K du k du K
en tout K, c'est le dieu Kâ qui serait honoré et Kontent,
kawabounga

Anonyme a dit...

Taaaaa! t'es bon! André veut que tu le rajoute à ton blog

Anonyme a dit...

rajoutes