Drink up, baby, look at the stars, I'll kiss you again
Between the bars where I'm seeing you there
With your hands in the air waiting to finally be caught
Elliott Smith
Other-Side Kelly
J’ai les mains complètement trempées. Le lampadaire du stationnement rend tout jaune et brun. Je baisse la tête vers l’amas de chair qui bouge sous mon genou. Sa bouche était déjà croche – sa bouche, son nez, ses yeux, on ne l’appelait pas Cross-Side Kelly pour rien –, maintenant, entre les éclats de sang qui parcourent ses joues, on dirait qu’il essaie d’avaler une tomate dans laquelle on aurait planté trois ou quatre dents. Tout enfle, saigne, pisse, gonfle ou crache dans son visage.
Une jambe qui plie à l’envers, les deux avant-bras cassés, une tige de métal dans le ventre, et un veston de cuir qui a maintenant l’air d’une peau de road kill; t’es swell, mon Kelly.
- Krrp. Krrlp.
Il essaie de dire quelque chose. Famous last words, que je me dis. Ses deux paupières sont complètement fermées, mais j’ai quand même l’impression qu’il me regarde. Je prend la crow-bar encore chaude et humide à côté de lui, je m’étire au-dessus de ma tête – chaque vertèbre de ma colonne émet un craquement qui m’envoie un frisson jusqu’aux pieds.
Je lui fend le crâne.
Je dois donner deux bons coups sur la crow-bar pour la déprendre. T’as la tête dure, mon Kelly. Je lance la barre à une dizaine de pieds plus loin, devant le container. Cross-Side Kelly vient de traverser. Il est de l’autre côté maintenant.
Je rentre dans le bar par la porte arrière, je traverse le backstage et j’allume les néons de la toilette des hommes. Mes mains sont encore trempées et je remarque qu’elles sont toutes rouges. Je lève lentement les yeux vers le miroir. Je suis complètement couvert de sang et j’ai un coupure de quatre pouces dans le front. Il me manque un morceau de cheveux, et c’est une plaque rouge vif qui le remplace. J’ouvre la bouche, pour m’apercevoir qu’il me manque une dent en avant.
Il est quatre heures et demie du matin. Je m’assois sur le bol de toilette, je ferme les yeux deux minutes. Deux petites minutes de rien du tout. Juste pour me reposer les idées, je suis drainé. Deux toutes petites minutes de rien du tout du tout.
Paolo Topless
J’ai connu Julia Duchesneau à peu près en même temps que l’accident d’hélicoptère de Marie-Soleil Tougas. Je dis à peu près parce que ça se peut que j’aie sauté une année ou deux. Après les inondations au Saguenay, l’assassinat de JonBenét Ramsey et les Jeux Olympiques d’Atlanta. Avant la sortie du film Le Titanic et la guerre au Kosovo. En quelque part dans ces années-là. De toute façon, ce qui se passait dans l’actualité en-dehors de Cowansville, Granby et Bedford, on s’en crissait pas mal.
Je venais d’être engagé chez Paolo Topless. La semaine après que le gros Mike Coutu se soit pris deux balles dans la tête et une autre dans les couilles, pour avoir essayé d’embrasser une danseuse. Mon boss, Paul «Paolo» Trépanier, s’était ramassé avec les Bruns d’un côté qui enquêtaient sur le meurtre du plus gros dealer de coke de ce côté-ci de la 10; et les prochains en ligne pour gérer le trafic. Les premiers étaient violents et condescendants, ils ne se gênaient pas pour brasser les filles si elles dansaient trop croche. Et les autres étaient tout aussi violents, mais plus envers les clients qu’envers les filles.
Tout ce beau monde se rencontrait chez Paolo Topless. C’est pour ça qu’il m’a engagé. Pour ma grandeur, ma grosseur, et mes jointures puckées. Pour que je fasse le mur entre les bâtards qui se reniflaient trop le derrière. Entre ceux qui voulaient faire leur propre numéro de danse.
Aujourd’hui, je lève les yeux, tout ce que je vois c’est un mur de béton en face, et le gardien qui se fouille avidement dans le nez, comme s’il y avait perdu ses clefs. Je lève encore un peu, c’est une fenêtre qui laisse voir un ciel qui ne semble jamais changer. Toujours très clair, c’est à penser qu’on bat des records de météo.
C’est une question de perception, il fait juste toujours plus clair en-dehors qu’en-dedans. Mais dans le temps de Julia «La Duchesse» Duchesneau chez Paolo Topless, quand elle arrivait sur la scène, la lumière te frappait. Et il n’y avait aucun moyen de savoir d’où ça provenait.
(J'ai peur que ce texte devienne trop comme un remake de «Histoire de pen». Je suis en réflexion sur la façon de le poursuivre pour pas que ça devienne un synopsis de film de Dan Bigras. Dans ma tête, ça change de narration, de forme, ça bascule entre un style «entrée de journal», et ça oscille vers de l'ultra-violent... j'crois qu'il faut que ça devienne un texte-personnage, et pas une histoire. J'suis tanné d'écrire des histoires. J'aimerais ultimement écrire des ambiances et des personnages, parce que c'est ce que j'aime lire. Et parce qu'ici, l'histoire à la Dan Bigras prendrait ainsi un rôle secondaire, presque nul.
Arrêter de travailler l'idée. L'écrire, ciboire!)
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