24.10.06

ON TE PARLE DE DIARHÉE - Métro Rosemont, autobus 30

Extrait du texte de déambulation que j'vais remettre dans le cadre de mon cours sur les écrivains déambulateurs. Avis à ceux qui ont déjà fait le cours (c'est-à-dire Oli), sentez-vous libres de donner des indications à savoir si ç'a d'l'allure... Mon idée c'est de remettre un texte à sketchs qui traite des transports en commun (ça va sûrement s'appeler STM). Voici donc un de ces sketchs, que je pense mettre à la toute fin du travail... Aussi, la plupart des autres textes sont au je.

- Mais, y’était pas de l’autre côté de la rue le Renaud-Bray?
- Ça dépend d’où vous arrivez.
- Ah… non mais j’étais certain qu’il était de l’autre côté.

T’attends ta copine devant son travail, jambes croisées, un carnet dans les mains, rue Saint-Hubert à la hauteur de Jean-Talon. Tu te mêles de tes affaires. Les gens passent devant toi, entrent dans la librairie, poursuivent leurs conversations, écoutent leur musique, promènent leur chien, parlent au cellulaire; tu penses être en sécurité. Confortable dans ton anonymat, dans le rien que tu représentes pour ces dizaines d’étrangers.

Jusqu’à temps qu’il y en ait un qui t’adresse la parole.

Ça commence avec une remarque à propos de l’endroit, du temps. Ça te prend toujours une seconde ou deux pour sortir de ton confort, c’est pourquoi tu demandes souvent de répéter, pour être sûr qu’on te parle vraiment à toi. Puis, ça dégénère. L’espace personnel est maintenant partagé. Ton sourire, les rides dans les coins extérieurs de tes yeux. Tu souris trop. Les gens te dérangeraient pas si tu souriais moins. Là il faut socialiser. Aider gentiment l’autre à réaliser que t’étais beaucoup mieux tantôt, seul devant la rivière de gens, à regarder tes sourires faire des bonds.

- Hey, on est tu assez ben dehors? Moi la pluie ça m’dérange pas. C’est ben moins pire que l’été, pis la canicule, pis toute la chaleur. Moi vraiment, c’est l’automne ma saison. L’hiver, l’été, c’est trop extrême. Pis sais-tu quoi? Le printemps, moi, c’est là que j’me sens le plus comme un chien, que j’suis le plus malade. Ouan. Mais à l’automne, j’vis. J’respire. C’est d’valeur que les gens l’apprécient pas autant. Quand tu y penses, t’as pas de grande fête en automne…

Et c’est ici que ton cerveau et ton ennui se contredisent. Jusqu’à date t’avais réussi à maintenir une subtile indifférence qui aurait sûrement dissuadé le passant moyen à poursuivre la discussion. Tu t’étais abstenu de regarder l’homme dans les yeux, et tu retournais obstinément dans ton carnet à chaque deux ou trois phrases de sa part. Tu avais répondu avec des bruits de fond de gorge et des hochements de tête. Mais ici – comme à la première réplique d’ailleurs, où t’aurais pu simplement répondre non, mais tu te sentais bien, t’étais heureux, t’attendais ta blonde, tu souriais aux passants. Hop, une petite blague au premier qui t’adresse la parole, c’est gentil, c’est être sociable. Mais ici, après avoir pris conscience que le bonhomme n’allait pas se contenter d’une réponse, que le bonhomme cherchait de la compagnie, au lieu de laisser la discussion tomber par elle-même; tu répliques. C’est ton souci de vérité, ton dévouement à l’intégrité intellectuelle, ton ostie de tête de cochon – appelle ça comme tu veux, finalement; ton masochisme, ta naïveté, ta sympathie. Oui, ça doit être ça, t’es trop sympathique.

- Ben, y’a l’Halloween…
- Ouan, l’Halloween… Pis qu’est-ce tu fais, là? T’es tu un écrivain? C’est quoi que t’écris?
- Oh, j’suis pas écrivain, disons que j’essaie. J’suis étud…
- T’étudies en quoi?
- En littérature.
- Hmm… Ouan, comme j’te disais moi l’automne c’est là que j’suis le plus heureux. Là c’est sûr, j’ai pas l’air en forme. J’arrive de l’hôpital. Mais la température en octobre novembre, c’es ma comfort-zone, tsé là, ma zone de confort. Tu peux te promener dans la rue sans finir tout trempe, en sueur, mouillé à lavette. Parce que moi j’sue gros normalement. Mais octobre novembre, pas de trouble. Number one… Pis t’étudies pour devenir quoi?

Maintenant que t’es accroché, il n’a plus qu’à te donner un peu de fil une fois de temps en temps pour te garder dans la conversation et continuer son monologue sur n’importe quoi. Comme à la pêche, il te laisse t’essouffler en te faisant croire qu’il y’a de la place pour toi dans l’échange; il te donne du fil, avant de mouliner à s’en péter le poignet. Si tantôt t’étais confortablement assis sur le bord de la rivière, maintenant tu nages en plein dedans.

- Euh, ben sûrement enseign…
- Ok. Wow… Pis c’est ça, comme j’te disais, là j’ai pas trop l’air en forme, j’arrive de l’hôpital. Mais l’automne, d’habitude, c’est ma saison. Tu vois quand j’suis rentré à l’hôpital, c’était, euh… mardi, non lundi passé, ça faisait dix-huit jours que j’avais la diarrhée. Hey t’imagines tu toi? Dix-huit jours. J’pensais mourir. Pis là j’ai amené avec moi à l’hôpital tout un tas de sous-vêtements. Parce que tsé, j’porte toujours deux paires de sous-vêtements…

Tu bloques. Au mot «diarrhée», tes hochements, tes petits grognements et tous tes autres mécanismes pour signifier un minimum d’intérêt ont tous arrêté de fonctionner. Là, subtilement, tu regardes vers la vitrine de la librairie. Ils ferment. Bon, elle s’en vient bientôt.

- … une paire de caleçons pis une paire de boxers. Les caleçons c’est pour pas que ça coule. Tsé quand t’es à ton dix-huitième jour de diarrhée, tu développes des stratégies. Surtout vu que j’m’en allais à l’hôpital, me promener en jaquette toute la journée, tsé. C’est comme en m’en venant à l’hôpital lundi passé, j’ai rentré mes pantalons dans mes bas, juste pour être sûr, tsé… Ah, c’est tu ta copine ça? Bonjour mademoiselle.

T’en étais à l’élaboration de tes propres stratégies pour te sortir de ce merdier – t’avais commencé à écrire «À L’AIDE» en grosses lettres sur le dos de ton carnet – quand elle est sortie de la librairie. Son fil à lui, du fait même, venait d’être coupé.

Quelques pas plus loin, un peu désabusé par un rapport aussi détaillé de la matière fécale d’un parfait étranger, et surtout soulagé qu’on t’ait épargné le plus croustillant du récit, tu donnes à ta copine un des plus gros baisers de l’histoire de l’humanité.

3 commentaires:

Anonyme a dit...

AH AH AH!

Tes yeux suppliants, de la fenetre de la librairie...

William a dit...

Oui, c'est la vérité. Hélas, des gens ici-même à Montréal persistent à croire que si t'as un sourire à donner, t'as probablement aussi beaucoup d'intérêt pour leur système gastrique.

Mais j'l'ai dit dans le texte, et je l'dis souvent aussi, c'est pas lui le problème. C'est moi. J'suis juste trop sympathique. Ça me fait subir toute cette marde là, à un ratio d'une à deux fois par semaine. Dans le métro, dans la rue, à l'épicerie.

On pourrait donc dire que j'récolte ce que j'sème. Mais jamais j'aurais cru que si tu plantes de la gentillesse (oh ça commence à sonner crissement hippie comme phrase ça...), tu vas être pogné avec l'image mentale d'un quincagénaire en jaquette d'hôpital qui essaie de cacher la traînée de marde qui coule jusqu'à ses chevilles...

olivier nj a dit...

excellent texte wil
de là à savoir si ça d'l'allure juste parce que j'ai fait le cours...
la seule chose c'est qui a rien avec la STM, si c'est ton titre, tu veux peut-être finir avec un épisode ou un skettttchtch qui a rapport avec le titre,j'sais pas. le texte est
drôle mais avec la déambulation faudrait sentir que tu te pointes souvent là, que cet arrêt fait partit de ta déambulation, je pense que le prof va aimer ça..

je te l'ai déjà dis pour ton sourire,me semble que je t'avais averti, rentre les dents et slaque sur les sourcils.
ciao