27.12.05

AVION

Le père de Toronto Matthieu était pilote pour Air Canada entre 1976 et 1991. Pendant quinze ans, Rejean Matthieu changeait d’hôtesse de l’air comme il changeait de chambres d’hôtel.

La mère de Toronto Matthieu était la sœur d’une hôtesse de l’air qui travaillait chez Air Transat de 1982 à 1984. Lyne Corriveau accompagnait sa sœur un soir dans un bar de Mirabel, La Rampe, où se rencontraient les aviateurs francophones arrêtés à Montréal et les filles et garçons de la ville, en quête d’une petite vite. Sa sœur aînée Manon travaillait depuis un an pour Air Transat, pour s’éloigner de son ex-mari, qui aimait trop son Southern Comfort. Qu’il prononçait Sodune Connefute à jeun, et Swraden Cwramfwrt, après une vingtaine d’onces.

À quelle heure tu veux partir? Manon demanda à sa petite sœur.
Pas trop tard, j’ai la tête dans l’cul. Finis ton drink.
Y’a plein de monde, c’est rare pour un lundi. T’as vu les pilotes d’Air-Canada au bar? Sont pas du monde. Le gros frisé m’a pogné le cul à deux mains en dansant tantôt.

Le frisé, c’était Rejean Matthieu. Il était pacté comme une princesse, et parlait de sa Grosse bite, diminutif qu’il utilisait pour parler de son avion, et des Plottes à pilotes qu'il avait sauté en banlieue de Toronto durant les quelques mois précédents, et de comment la ville de Toronto était remplie de francophones chaudes et chaleureuses, avec d’autres employés francophones d’Air Canada à peu près aussi bourrés.

Le gros frisé juste là?
Oui.
Je l’connais, j’pense.
Impossible, y’arrive de Toronto, en stand-by à cause de la tempête.
Oui oui. Je l’connais. C’est lui, Manon.
Comment, lui?
Lui.

Lyne pointait son ventre. Ses yeux devenaient tout brillants dans les reflets des éclairages colorés de la piste de danse. Les deux sœurs partirent vers la salle de bain en se tenant par la main.

Faut que tu lui dises, Lyne.
Oui oui. J’ai encore son numéro de téléphone, là.
Faut que tu lui dises.
On peux-tu partir là. J’file pas.
Pas tant que tu lui as pas parlé. C’est important Lyne.
J’vais l’appeler demain matin. Y’est soûl comme une botte. Ça donne rien à soir.
T’es mieux de lui dire.
Oui oui. On part. Demain je l’appelle. À soir, il ferait pas la différence entre moi pis une boîte à male.

En sortant, Manon regardait vers le bar, les pilotes d’Air Canada étaient partis. Le barman frottait le comptoir. Dans le fond de la salle, dans le noir, des rires d’hommes et de femmes faisaient écho.

Lyne Corriveau finit par rejoindre Rejean Matthieu quelques mois plus tard, dans une cabine téléphonique sur le coin des rues Sherbrooke et d’Iberville, à Montréal. Une semaine après, elle lui présenta son fils. Qu’elle avait fait baptiser Toronto Matthieu. Qu’il continua de visiter régulièrement. Jusqu’à ce que Toronto meure, en 2003, quelque part dans les airs entre Montréal et Reykjavik, où il allait rejoindre sa copine, enceinte de leur premier fils. Tué par une cocaïnomane du Vermont nommée Fanny Baker, dans l’allée centrale de l’avion.

1 commentaire:

olivier nj a dit...

ouais ouais oausi
très deep
mais très bon